La décision du Tribunal Administratif de Paris reconnaissant la responsabilité de l’État français pour inaction climatique est une première qui va réjouir tous les défenseurs de l’environnement. Mais il est encore trop tôt pour dire si cette condamnation est une vraie avancée. Explications.
Ce mercredi 3 février, le Tribunal Administratif de Paris condamne l’État français à verser 1€ aux associations plaignantes pour préjudice moral, reconnaissant ainsi de facto la responsabilité de l’État pour inaction climatique. Des associations qui espèrent encore voir l’État condamné pour préjudice écologique. Pour bien comprendre les enjeux, il est utile de revenir sur la chronologie des faits.
Plus de 2 années de mobilisation
Tout démarre le 17 décembre 2018 lorsque 4 associations de défense de l’environnement lancent une pétition en ligne en faveur d’une action en justice contre l’État pour inaction climatique. Une pétition qui obtiendra, en 2 ans, quelque 2,3 millions de signatures. Les quatre associations à l’origine de cette action sont Oxfam, Greenpeace, Notre affaire à tous et la Fondation Nicolas Hulot.
Le 14 mars 2019, les associations déposent un recours devant le Tribunal Administratif de Paris.
En décembre 2019, les ONG appellent leurs soutiens à témoigner concrètement des effets du réchauffement climatique dans leur vie quotidienne. En retour elles reçoivent 27 000 contributions.
En juin 2020, l’État dépose sa défense devant le Tribunal. Un document de 18 pages dans lequel l’État écarte l’accusation d’avoir commis une faute.
Le 14 janvier 2021, le rapporteur public reconnait une « carence fautive » de l’État. Pour lui, « il y a bien une faute de l’État à n’avoir pas respecté sa trajectoire » dans la réduction des GES. Une position que confirme donc le Tribunal Administratif de Paris dans sa décision du 3 février.
Portée de la décision
L’objectif fixé par l’État français est de parvenir à une réduction de 40% des émissions de GES en 2030 par rapport à 1990. Pour atteindre cet objectif, la réduction devrait être chaque année de 1,5%, or elle est pour l’instant légèrement inférieure à 1%. Les ONG estiment donc que l’État ne tient pas ses engagements et que sa responsabilité doit donc être engagée. Ce que reconnait le juge en accordant à chacune des 4 ONG une indemnisation de 1€ symbolique pour préjudice moral.
Mais quid du préjudice écologique ? Un préjudice étayé par ces 27 000 témoignages de citoyens. Le juge ne s’engage pas et préfère se donner le temps tout en demandant à l’État d’apporter, avant le 19 février, les preuves de ses engagements. Il y aura donc bien une nouvelle décision sur le fond dans les mois qui viennent.
Une décision qui rappelle celle prise en novembre 2020 par le Conseil d’État dans le cadre d’une action introduite cette fois-ci par le Maire de la Commune de Grande-Synthe dont le littoral est menacé par la montée des eaux. Dans cette instance, le juge avait également demandé à l’État d’apporter les preuves de son engagement dans un délai de 3 mois.
Une première en France, mais pas dans le monde
Les actions contre les États pour inaction climatique ont tendance à se multiplier à l’échelle planétaire. Au Pays-Bas, dès 2015, la justice somme l’État de réduire les émissions de GES de 25% en 5 ans. Une action intentée conjointement par l’ONG Urgenda et 900 citoyens. Le Rapport du Programme des Nations-Unies publié le 26 janvier 2021 recense pour 2020, 1550 actions de ce type dans 38 pays. Une tendance qui consacre le rôle de la justice dans la lutte contre le réchauffement climatique. La plupart de ces actions sont intentées dans les pays riches, mais certaines commencent à apparaitre également dans les pays pauvres comme la Colombie (avec condamnation de l’État), l’Inde ou encore le Pakistan (là aussi avec condamnation).
Ces actions peuvent également être le fait de simples citoyens. En septembre dernier, 6 jeunes portugais (dont certains sont mineurs) intentent une action pour inaction climatique contre 33 pays (dont la France). Cette action a été portée devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme et déclarée recevable. En Suisse, une action a été introduite en octobre par une association, « Les ainées pour la protection du climat », composée de retraitées.
La multiplication de ces actions et l’apparition des premières condamnations des États marquent indiscutablement un tournant dans la lutte contre le réchauffement climatique. Si cette tendance devait se confirmer, les États se verraient placés en première ligne dans la responsabilité de lutte contre le réchauffement climatique. Une tendance qui pourrait bien être lourde de sens.
Actualisation au 5 octobre 2021
Le 30 septembre, la rapporteuse auprès du Tribunal Administratif de Paris a recommandé d’obliger l’État à réparer le préjudice causé par son inaction ou insuffisance d’action dans le cadre de la trajectoire carbone. Elle estime le dépassement du budget carbone à 15 millions de tonnes équivalent carbone sur la période de 2015 à 2018. Elle se prononce pour une injonction faite à l’État de faire cesser le préjudice et d’empêcher son aggravation avec comme échéance le 31 décembre 2022. Par contre elle se prononce contre le recours aux astreintes. Décision courant octobre.