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L’autorégulation est-elle en crise?

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Deux condamnations de campagnes publicitaires ont, ces dernières semaines déclenché les passions dans les milieux professionnels et fait remettre en cause l’autorégulation telle qu’elle est organisée dans notre pays.

De la Smerep aux chips Lays

Tout débute avec la plainte déposée par les Chiennes de Garde en juillet contre une vidéo virale de la Smerep. L’association militante parvient à faire condamner cette vidéo comme véhiculant stéréotypes et message sexiste, puisqu’en effet, le 6 septembre le JDP se prononce pour l’arrêt de la diffusion de cette campagne. Signalons aussi, et cela a sans doute son importance, que le Ministère des Droits des Femmes dépose également plainte.

C’est alors que quelques jours plus tard, le 17 septembre, Dominique Baudis – pourtant homme de médias – saisit le CSA au sujet du clip publicitaire des chips Lays, ce clip qui montre deux personnes âgées se battre pour un paquet de chips. Pour Dominique Baudis, le clip porte atteinte à la dignité de l’homme et plus spécifiquement à celle des personnes âgées.

Nous avions relaté dans des posts précédents ces deux affaires.

Les passions se déchainent

Ces deux condamnations entrainent de vives protestations dans les milieux publicitaires.

Certains d’y voir une menace sur la créativité. D’autres d’accuser l’organisation à la française de l’autorégulation de la profession, avec une remise en cause de l’ARPP et du JDP. Essayons d’y voir un peu plus clair.

L’autorégulation en France

Les professionnels de la communication l’ont compris, plus la profession s’autorégulera, moins le cadre juridique sera contraignant.

Alors, d’où vient cette autorégulation? Principalement de l’ARPP qui édicte des recommandations. Mais aussi de différentes instances comme le Conseil Paritaire de la Publicité et le Conseil de l’Ethique publicitaire. Et on aurait tort d’oublier le rôle joué par la Chambre de Commerce Internationale avec son Guide des pratiques loyales.

Quant au JDP mis en cause dans ces affaires, son rôle est de recevoir les plaintes et de les traiter.

Principaux reproches

Le JDP depuis quelques jours se voit affublé de bien des défauts.

Olivier Mongeau, Rédacteur en Chef de Stratégies lui reproche sa composition. Il est vrai que le JDP ne comporte aucun professionel de la publicité, qu’il s’agisse de représentants des annonceurs ou des agences. Il est composé de membres de la « société civile » : des magistrats, médécins, universitaires, journalistes. Faut-il le regretter? Un JDP composé de professionnels de la publicité serait-il plus crédible? Serait-il indépendant? D’autant que dans la procédure d’instruction des plaintes, l’annonceur et l’agence sont largement appelés à faire connaître leur point de vue et à le défendre (ce qu’ils ne font d’ailleurs pas toujours). Le JDP est là, rappelons-le, pour protéger la société civile (nous consommateurs) contre les dérives publicitaires.

Vincent Leclabart, Président de l’AACC réclame qu’une procédure d’appel soit mise en place, comme dans les instances judiciaires.

Mais justement, nous ne sommes pas dans une instance judiciaire. Et cette procédure d’appel présente des risques. En tout premier lieu, le risque de brouiller le message. Un JDP qui condamne un jour et qui le lendemain réhabiliterait, qu’en penserait le consommateur? Un appel rallongerait d’autant les délais. Or, on le sait, une campagne publicitaire est souvent éphémère. Serait-il suspensif, avec tous les risques que cela supposerait? Et qu’elle serait la composition de cette commission d’appel? Le plaigant pourrait-il lui aussi faire appel lorsque le JDP classe sa plainte sans suite ou la considère comme infondée? (Sur 645 plaintes en 2012, seules 70 ont abouti à une délibération du JDP).

Dans le dernier numéro de Stratégies, Eric Andrieu, avocat au Cabinet Péchenard & Associés assimile à une « délation » le fait de permettre à un citoyen de se rendre sur le site du JDP et, d’un clic, de porter plainte. Pourtant, si on veut que le consommateur puisse réagir face à une campagne qui le choque, il faut que la procédure soit simple et accessible. D’ailleurs, nous ne pensons pas que le consommateur moyen se rende régulièrement sur le site du JDP. Lorsqu’il dépose plainte, c’est donc à la suite d’un acte réfléchi (on l’espère) et non parce qu’il est arrivé par hasard sur le site du JDP. Les chiffres confirment également l’absence totale d’abus en la matière : 645 saisines est un chiffre ridiculement bas par rapport au nombre de publicités et de campagnes publicitaires lancées chaque année. Et les consommateurs ne sont pas les seuls à agir.

L’argument de la créativité revient très souvent. Bon nombre de publicitaires craigant que les condamnations du JDP ne tuent la créativité.

La créativité est absolument nécessaire à la publicité, à une époque où, selon la toute dernière étude SOFRES « Publicité & Société », 64% des Français la trouve banale.

Mais l’argument est trop facilement utilisé.

Poser des règles de dignité, de décence, de contrôle des stéréotypes ou de la violence ou encore du sexisme, … en quoi serait-ce contraire à la créativité du publicitaire?

La publicité est un art difficile. Il demande exigence.

Etonnament dans ce débat, personne ne semble demander une séparation plus franche entre l’ARPP et le JDP qui en est une émanation. Difficile d’être juge et partie.

Une chose est certaine, ce débat ne doit pas être pris à la légère, à un moment où la même étude Sofres nous révêle que seuls 14% des Français se déclarent spontanément publiphiles. La route sera encore longue….