Pour lutter contre la pandémie du covid19, le recours à des drones est possible, mais pas à n’importe quelles conditions. C’est du moins le sens d’une décision du Conseil d’État qui en suspend l’usage. Analyse.
Les faits
Le 18 mars, le Préfet de police de Paris autorise le recours à des drones pour localiser les rassemblements de personnes qui ne respecteraient pas les consignes dans le cadre de la lutte contre le covid19, notamment en période de déconfinement. L’État prévoit même une commande de 650 drones pour un investissement de 4 millions d’€. Ces appareils doivent survoler la ville de Paris à une hauteur de 80 à 100 mètres et les images captées sont envoyées au centre d’information et de commandement de la préfecture de police.
Mais c’était compter sans la vigilance de deux associations qui veillent au respect des droits, la Quadrature du Net et la Ligue des droit de l’homme qui introduisent un référé devant le Tribunal Administratif de Paris mais voient leur demande rejetée. Les deux associations en appel alors au Conseil d’État, lequel rend son ordonnance le 18 mai.
Les principaux motifs du recours
La Quadrature du Net et la Ligue des droits de l’homme avancent plusieurs arguments. Selon elles, la captation d’images par drone constitue un traitement de données à caractère illicite et une ingérence grave et manifestement illégale dans l’exercice du droit au respect de la vie privée et du droit à la protection des données personnelles. Les demanderesses avancent également le fait qu’aucun délai de conservation des images captées n’est prévu, que cette mesure n’a pas fait l’objet d’une réglementation administrative, estimant par ailleurs que le Préfet de police n’est pas compétent pour ordonner une telle surveillance. Les 2 associations soulignent également que les personnes dont les images sont captées ne sont pas prévenues comme la règlementation l’exige. Elles estiment enfin qu’il y a disproportionnalité entre le dispositif mis en place et les finalités poursuivies et que rien n’assure que l’accès aux images captées sera réservé aux seuls agents de la Préfecture de police.
L’ordonnance du Conseil d’État
Le Conseil d’État dans son ordonnance du 18 mai donne gain de cause à la Quadrature du Net et à la Ligue des droits de l’homme. Il rappelle que les mesures prises pour lutter contre la pandémie doivent « être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de santé publique qu’elles poursuivent ».
Il prend acte qu’à leur hauteur de vol et équipés d’un zoom optique puissant, les drones sont capables d’identifier les personnes dans un rassemblement. Le Conseil d’État en déduit que les drones permettent de relever des données identifiantes sans avoir l’assurance que les informations ainsi recueillies ne puissent conduire à identifier les personnes filmées pour un autre usage que l’identification des rassemblements publics en vue de leur dispersion.
Le Conseil d’État ordonne à la Préfecture de police de « cesser sans délai de procéder aux mesures de surveillance par drone ». Il octroie à chacune des deux associations plaignantes la somme de 3000€ au titre de l’article L761-1 du Code de la justice administrative. Par contre le Conseil d’État ne fait pas droit à leur demande d’astreinte de 1024€ par jour.
Une décision qui, même si elle ne concerne que la Préfecture de Paris a valeur de symbole. La technologie du drone comme outil de surveillance n’est pas condamnée par principe, mais doit, comme toute autre technologie, respecter les droits fondamentaux, notamment en matière de captation d’image et de collecte de données personnelles. Un encadrement de cette pratique par un arrêté ministériel ou un décret sera donc nécessaire.
Actualisation au 30 octobre 2020
La Quadrature du Web vient de saisir le Tribunal Administratif de Paris, estimant que la Préfecture de Paris ne respecte pas la décision du Conseil d’État. Selon cette organisation, la police continue la surveillance à l’aide de drones, apportant des photos à l’appui prises lors de 4 manifestations parisiennes entre juin et octobre. La plaignante réclame la non- exploitation et la destruction des données captées.