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L’Europe entend réguler l’espace numérique

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Le 15 décembre, la Commission européenne a levé le voile sur le projet tant attendu de régulation de l’espace numérique européen, un projet fait de deux règlements qui devraient régir les activités numériques dans les prochaines années sur le vieux continent. Grandes lignes.

Notre économie comme notre vie sociale se digitalise chaque jour un peu plus, mouvement par ailleurs accéléré par la pandémie de la Covid19. Et si les services rendus par le numérique sont biens réels, ils ne font pas oublier pour autant ses déviances. C’est contre celles-ci que l’Europe entend lutter avec ce projet de régulation. Avec comme philosophie que tout ce qui est interdit et sanctionné dans notre vie offline doit également l’être dans notre vie online. Une régulation qui comporte 2 projets de règlements, le Règlement sur le Service Numérique (DSA) et le Règlement sur le Marché Numérique (DMA). Deux règlements, deux objectifs.

Le Digital Services Act (DSA)

L’objectif du DSA est de lutter contre les contenus abusifs et de rendre plus transparents les critères de recommandation et de modération. Tous les contenus abusifs sont visés : la haine en ligne, le harcèlement, les fakes news et la désinformation, la pédopornographie, le terrorisme. Une liste non exhaustive. On se souvient que la France avait, il y a peu, tenté de son côté d’agir avec feue la loi Avia censurée par le Conseil Constitutionnel.

Toutes les plateformes devraient être soumises au DSA sur le territoire européen, quelle que soit leur taille, mais les grandes plateformes seraient assujetties à des règles plus strictes dès-lors qu’elles sont utilisées par au moins 10% des européens. Les grands réseaux sociaux se trouveraient ainsi soumis à ces règles plus strictes. Parmi les mesures envisagées retenons l’obligation de permettre à un utilisateur de signaler un contenu, de lui permettre également de contester une décision de modération ou de suppression de contenu, la possibilité de réaliser des audits externes, la désignation d’un interlocuteur des pouvoirs publics, ou encore la transparence des algorithmes régissant les classements et recommandations de contenus. En cas de non-respect de ces obligations, à la clé une amende pouvant atteindre 6% du revenu global annuel. Pour y échapper, la plateforme devra apporter la preuve qu’elle n’a pas eu connaissance des contenus incriminés. Au final, un règlement qui vient corriger les limites du statut d’hébergeur.

Le Digital Market Act (DMA)

Avec le DMA, l’enjeu est tout autre. On vise ici principalement à lutter contre toutes les pratiques anticoncurrentielles afin de donner sa chance à toute entreprise européenne de se faire sa place sur le web et de ne pas être victime d’abus de position dominante. Sont donc concernées les très grandes plateformes. Si l’Europe pour l’heure ne souhaite pas en donner la liste, les critères posés permettront aisément de les identifier. 2 critères sont retenus : tout d’abord un CA annuel réalisé sur les 3 derniers exercices comptables d’au moins 6,5 milliards d’€ ou une capitalisation boursière sur le dernier exercice d’au moins 65 milliards d’€ et également réunir au moins 45 millions d’utilisateurs mensuels. Des plateformes désormais qualifiées de ‘gatekeepers’.

Parmi les 7 mesures envisagées dans le cadre de ce règlement, l’interdiction d’exploiter les données de leurs clients professionnels à des fins personnelles, l’interdiction de l’auto-préférence dans les moteurs de recherche, ou encore la mise en place de silos empêchant la mutualisation des données entre les différents services sans l’accord de l’utilisateur. Le non-respect de ces obligations ferait encourir une amende pouvant atteindre 10% du revenu annuel. La possibilité de démanteler la plateforme contrevenante est également évoquée.

Ces deux règlements vont devoir être soumis et au Conseil et au Parlement Européens qui disposent d’un droit d’amendements avec possibilité de 3 navettes. C’est dire que les textes définitifs ne seront sans doute pas disponibles avant 18 ou 24 mois. S’il nous faudra donc attendre 2022 pour voir ces mesures entrer en vigueur, l’enjeu est bien réel comme l’exprimait dernièrement Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission de la concurrence : « Alors que le trafic internet ne cesse de croître, il nous faut des règles pour remettre de l’ordre dans le chaos ».