Après deux années d’âpres débats et de rebondissements, le Parlement Européen a adopté mercredi la réforme du droit d’auteur. Avec pour objectif une meilleure répartition de la valeur. Explications.
C’est par 438 voix sur 703 votants, que le Parlement Européen a voté une Directive renforçant le droit d’auteur. Deux objectifs étaient poursuivis : adapter la protection actuelle à l’essor du numérique et lutter contre le « pillage » de la création, notamment journalistique, par les GAFAM et les plateformes d’hébergement. Les résistances de l’industrie numérique étaient, on s’en doute, fortes et les débats houleux.
La réforme tient en 2 mesures essentielles, exprimées par les articles 11 et 13 de la Directive.
L’article 11 crée un droit voisin
La notion de droit voisin n’est pas nouvelle en matière de droit d’auteur. Les artistes interprètes en bénéficient depuis longtemps. Ce nouveau droit voisin est créé au profit des éditeurs de presse. En effet, dans son article 11, la Directive donne des droits exclusifs de reproduction et de diffusion, aux éditeurs de presse, sur les contenus qu’ils créent. Cela signifie clairement que les GAFAM et plateformes de partage ne pourront plus librement exploiter les contenus de presse, sans rémunérer l’éditeur de presse.
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source : lesoir.be
D’aucuns ont invoqué la défense de la liberté d’expression et la liberté du net pour tenter de s’y opposer. Ces craintes sont-elles réelles? Le texte vise avant tout à permettre un partage de la valeur. En effet, la plateforme qui diffuse un contenu dont elle n’est pas l’auteure gagne de l’argent la publicité engendrée. Il s’agit, non pas de gêner la liberté d’expression ou de limiter la libre circulation de l’information, mais de rémunérer l’éditeur de presse pour le contenu exploité. L’article 11 prévoit d’ailleurs un certain nombre de dérogations : les liens hypertextes et ceux accompagnés de mots isolés ne sont pas concernés, non plus que les usages privés sans but commercial.
L’article 13 institue une responsabilité des plateformes
Jusqu’alors, en droit du numérique, on ne retenait la responsabilité des plateformes hébergeuses vis à vis des contenus publiés par leurs membres, que dans des cas très limités. Désormais, en matière de diffusion de contenus de presse, la plateforme sera responsable. Elle devra veiller à ce qu’aucun contenu ne soit diffusé au détriment des éditeurs de presse, et à défaut, sa responsabilité se trouverait engagée. On s’éloigne du traditionnel statut d’hébergeur.
Des plateformes, tels que Facebook, Twitter ou encore LinkedIn, vont donc devoir mettre en place des filtres automatiques ou négocier des licences avec les éditeurs de presse. A noter toutefois que le texte exclut de ce dispositif les micro et les petites plateformes, qui n’ont pas les moyens de mettre en place de tels filtres. Sont également exclus les fournisseurs de services cloud.
Des questions restent entières
Cette Directive fixe un cadre, qui toutefois n’est pas sans soulever certaines interrogations. Les modalités d’application restent à définir et seront en partie de la responsabilité de chaque État membre. Quel en sera le calendrier? Les États Européens vont-ils être capables d’harmoniser leur position face aux géants du net? On peut aussi s’interroger sur la réaction des GAFAM. On les sait peu enclins à céder aux injonctions des États Européens ou de leurs tribunaux. Sont-ils prêts à payer pour continuer à diffuser les contenus de presse? Existe-t-il un risque de boycott des contenus de la presse européenne? Ce qui serait désastreux pour son rayonnement et produirait financièrement l’effet inverse à celui recherché. Et dans le même temps, la reprise d’articles ne contribue-t-elle pas à la notoriété de son auteur? Par ailleurs la définition et l’installation des filtres ne sera sans doute pas chose facile au plan juridique. En effet, le droit d’auteur prévoit de multiples exceptions et on peut légitimement se demander si les filtres pourront en tenir compte? On peut aussi d’interroger sur l’efficacité de ces filtres.
On le voit, si l’idée de départ est généreuse, sa mise en œuvre risque d’être difficile, voire hasardeuse. Une réforme largement soutenue par le gouvernement français. Voici d’ailleurs ce que tweetait Emmanuel Macron au lendemain de l’adoption de la Directive : « Le droit d’auteur protège, c’est notre liberté, notre information libre, notre création culturelle qui sont reconnues. Je suis fier que la France ait été à la pointe de ce combat ».